18 Fév Chloé CHARMILLOT – Philippe Grosclaude et la constance de l’être, 2021
Chloé CHARMILLOT
Au travers d’une sélection de grands formats et d’estampes, la Galerie de l’ARTsenal à Delémont parcourt 30 ans de production du peintre et graveur Philippe Grosclaude. Des blessures intérieures aux faits sociétaux, l’artiste genevois fait de l’être humain le laboratoire de son art.
A Delémont, l’espace de la galerie est jalonné par une majorité de grandes toiles. En son centre, deux œuvres imposantes, quasi totémiques, sont suspendues dos à dos. A parcourir cet ensemble, dont la plus ancienne remonte à 1990, visiteuses et visiteurs peuvent observer les préoccupations de l’artiste. Philippe Grosclaude, né en 194[3] à Genève, puise ses inspirations dans la faille humaine. La fameuse blessure, celle qui interroge l’existence, tourmente l’esprit, l’entraine dans ses méandres et se prolonge dans les frasques de la société.
Diplômé de l’École des Beaux-Arts de Genève, Philippe Grosclaude est un artiste chevronné, son parcours est marqué par de nombreuses expositions en Suisse, notamment au Musée des beaux-arts du Locle en 2002, mais aussi dans différentes galeries en Suisse romande et alémanique, dont la Galerie Courant d’art à Chevenez et à la Graf & Schelble Galerie. Son travail artistique est par quatre fois récompensé par la Bourse fédérale des Beaux-Arts et par le Prix Boris Oumansky. L’année passée, la Fondation Atelier Philippe Grosclaude est née. Située à Carouge et dédiée aux rencontres interdisciplinaires, la Fondation s’inscrit dans une démarche engagée pour la diversité de 1’art et de la culture.
Une tension assumée
C’est dans le mariage de l’amplitude du geste et de l’agencement de formes abstraites géométriques que les peintures de Philippe Grosclaude déploient une tension assumée. Tandis que les dessins elliptiques ou ovoïdes verrouillent l’intérieur de la composition, les faisceaux tracés s’épanchent hors de l’œuvre. L’artiste est de ceux qui aiment transgresser les limites de la toile. Avec la confrontation simultanée des éléments clos a la fuite libre au-delà du cadre, les œuvres donnent l’impression d’irradier.
Génératrice d’émotions, cette résistance, ce double mouvement intérieur-extérieur témoigne de sa préférence pour les grands formats qui permettent l’accomplissement du geste. Cette amplitude s’accompagne d’un rendu d’exécution maitrisé, soigné. Les toiles ne sont pas le résultat d’un rapide achèvement, d’une fièvre de l’instinct, mais s’enracinent dans une nécessite intérieure constante et profonde. D’ailleurs, le dessinateur s’adonne à la réalisation d’une œuvre à la fois, et s’achemine dans sa création par strates successives. Une manière d’entrer dans la plénitude de l’acte, mais aussi d’accroitre une certaine consistance de l’œuvre.
Pastel et vélin
Philippe Grosclaude est physionomiste des émotions. Ses personnages, d’une présence énigmatique et statuaire, ne sont pourtant pas contorsionnés. Ils oscillent entre absence de face et portraits masqués. Purifiés de détails, les visages qui s’effacent alimentent l’exaltation des sensations. C’est dans ses estampes, des monotypes d’un format réduit, que les portraits d’hommes noirs prennent une autre importance, plus directe.
Pour produire ses compositions aux accents graphiques qui évoquent la bande dessinée, c’est le fusain, le crayon gras et principalement le pastel qui sont utilisés, tandis que les gravures sont réalisées sur papier vélin. L’utilisation de ce papier, soyeux par sa texture, et du pastel indique un attrait pour le travail sensible de la matière. Celui dont la signature s’inscrit en pyramide manipule le bâtonnet de couleur pour sa propriété onctueuse. Le pastel offre un rendu plus suave, accentue la profondeur, charge les œuvres d’une douce intensité tactile. Finalement, si Philippe Grosclaude nous confronte à notre humanité, tant dans ce qu’elle a de plus intime que dans son universalité, son art semble être avant tout un outil d’expérimentation de sa réalité.
CHLOÉ CHARMILLOT
Le Quotidien Jurassien, n° 215, 18 septembre 2021
Delémont, Galerie de I’ ARTsenal
«Philippe Grosclaude – Pastels et monotypes»
septembre 2021