18 Déc Géraldine PIGUET-REISSER – Vagabondages, 2023
Géraldine PIGUET-REISSER
VAGABONDAGES
A celles et ceux qui s’aventureraient en peinture avec Philippe Grosclaude, déambuleraient en ses toiles, entre ces profils humains anonymes, je ne dirai qu’une chose : vous vous y abîmerez. Car la douceur des poudres de pastel n’y est qu’apparente. Elle sauve d’une réalité bien plus cruelle. Le bleu ouvert sur l’infini y est une nécessité pour ne pas sombrer. Les blancs estompés y sont autant d’espaces hurlant que tout n’est pas écrit. Que quelque chose reste ouvert, possible. A l’opacité du rapport à la transcendance se substitue depuis quelques années celui, horizontal, du rapport à l’autre. Dans ce qu’il a de plus abyssal. Les individus s’y croisent, porté chacun par la nécessité. Figurines découpées, catapultées dans une réalité qui ne dit pas son nom, par le hasard ou des dieux qui se jouent. Foules sans visages, dont les ombres poussent comme des arbres et sont porteuses d’une vérité plus grande. Leurs mains comme des racines cherchent le sol, appellent au retour. Isolés dans leur proximité, la distance qui oppose les êtres est immense. La peinture est dans une tension extrême. Elle lutte et semble vouloir se libérer constamment du cloisonné dans lequel on la contient. Gestes toujours maîtrisés où le pinceau et la craie s’agitent, souhaiteraient n’en faire qu’à leur tête, couvrent et découvrent. Car la peinture révèle comme une voyante le sujet à son auteur. Par-delà les couches superposées ou à travers elles justement. Traits de pastel poreux, fissures d’un pinceau blanc, usures des crayons de couleur sur la toile, traînées jetées au vent… Parfois aussi, toujours un peu, de-ci de-là des tâches de couleurs opaques : souliers qui marchent, valise qui s’en va, emmanchure en mouvement… Leur vivacité rappelle l’œil depuis ses vagabondages sur des lignes qui oscillent perpétuellement.
Il faut accepter de se perdre dans la peinture de Philippe Grosclaude. Le paradoxe y est permanent, on y marche à sens inverse. Ou à contre sens, c’est comme on voudra. Ce que l’on voit défie ce que l’on sait. Les corps suspendus au-dessus du sol. Des membres qui se croisent et inversent la perspective. Prendre ça aussi. Oui c’est ça… Accepter de ne pas savoir. Traverser les couches et oublier le fil. Penser que tout est perdu et pourtant espérer l’issue. Par de-là les couleurs et la peinture qui sauvent, comprendre qu’on ne sait pas où tout cela nous mène. Accepter que le chemin est celui où l’on se perd…
Géraldine Piguet – Carouge, le 20 janvier 2023