Philippe Grosclaude, pilote de turbulences – 1994

L'ange, 1990
L'ange, 1990
Ils sont, 1993/1
Ils sont (Hommage à Thomas Bernhard), 1993 - pastel, fusain et crayon gras sur toile - 200 x 150 cm
Philippe Grosclaude, pilote de turbulences

BEAUX-ARTS  Exposition à Genève et monographie pour Grosclaude

L’ange, 1990
pastel et fusain sur toile
200 x 150 cm
Ils sont [Hommage à Thomas Bernhard], 1993
pastel, fusain et crayon gras sur toile
200 x 150 cm

Couche après couche, l’artiste dépose angoisses et obsessions, les recouvre, les fixe, les fige, jusqu’à obtenir une beauté semblable au «rêve de pierre» baudelairien.

Combat des Titans, avec chocs et étoiles; paysage glaciaire, blanc et bleu, avec, pour le réchauffer, le ton terreux des troncs; mouvement circulaire accompli autour d’un motif central: la figure humaine, où tout se noue. Les pastels de Philippe Grosclaude, qui se limite à ce médium depuis 1978, dénote un style et sont par là immédiatement reconnaissables (même indépendamment de leur signature, qui associe le tampon et l’autographe); pourtant, qu’il est difficile de les décrire!

L’équilibre des tensions

Posons plutôt les termes qui viennent à l’esprit lorsqu’on contemple ces tableaux: la beauté d’abord, évidente; la mélancolie, celle qui succède au drame; l’inquiétude de qui a appris à ne pas se cramponner à ses angoisses; le silence qui succède au cri. La pratique patiente du pastel, appliqué au fil de dizaines de couches successives, fixées à mesure, n’est sans doute pas étrangère à ce masque pacifié, où s’équilibrent les tensions. Couche après couche, l’artiste dépose angoisse et obsessions, les recouvre, les fixe, jusqu’à obtenir une beauté semblable au «rêve de pierre» baudelairien.

Des silhouettes anonymes au nez busqué et aux paupières lourdes, habitent ces compositions par ailleurs abstraites<<, ce sont Quelqu’un (1993), un Duo (1992) quelconque, un Portrait (1993) sans nom; c’est le visage de l’Aube (1993), c’est l’apparition de L’ange (1990), c’est surtout l’Emergence (1993) de quelque chose. En effet, les images disent le jaillissement de soudaines étoiles, la genèse suggérée par la peau lisse d’un oeuf, le suc exprimé de grappes aux grains protéiformes. Un suc qui parfois est répandu selon le mode du dripping, mécanisme utilisé avec économie. L’économie des effets de matières ou de couleurs, celle des symboles, celle du geste même caractérisent un art discrètement généreux, ou généreusement pudique.

Parution d’une monographie

Philippe Grosclaude expose pour la cinquième ou sixième fois chez Anton Meie r; la première fois que celui-ci l’avait accueilli, c’était voici vingt ans, à Carouge où le galeriste avait pignon sur rue et où l’artiste travaille encore. Né en 1942, Philippe Grosclaude a étudié les beaux-arts à Genève et obtenu trois bourses fédérales, avant d’exposer tant en Suisse alémanique qu’en Suisse romande. Aujourd’hui paraît aux éditions ABC à Zurich la première monographie à lui être consacrée, due à Françoise Jaunin. Bilan intermédiaire d’une oeuvre toujours en devenir, qui privilégie les formes « arrondies, elliptiques, paraboliques, trapézoïdales ou fisuformes« , selon Fritz Billeter, qui signe la préface. Le visiteur de la galerie ne manquera pas d’aller regarder, dans un local annexe, les grands formats : ailleurs appliqué sur du papier, du bois ou du carton, le pastel recouvre ici des toiles tendues, où les formes en expansion peuvent à loisir s’étirer et dépenser un potentiel d’énergie qui reste parfaitement maîtrisé.

Laurence CHAUVY, Journal de Genève, mars 1994