Grosclaude
peinture – gouache
peinture – gouache
L’espace de la toile se définissant à travers les formes et les couleurs qui l’habitent, il semblerait que depuis les peintures rupestres tout aurait du être dit. Il n’en est heureusement rien. Il reste des peintres qui savent voir et faire voir. Philippe Grosclaude est de ceux-là.
Depuis que nous l’avions vu sur les cimaises genevoises, il a beaucoup évolué. Nous avions laissé un peintre hésitant au seuil d’un nouvel espace. Trois ans après, nous retrouvons un visionnaire en parfaite possession de ses moyens et dont l’expérience intérieure devient suffisamment sûre pour être communiquée et importante pour qu’elle mérite de l’être.
L’évolution plastique est directement liée à I’approfondissement de I’expression. Le langage de Grosclaude ne nous permet plus de suivre les frémissements d’une sensibilité épidermique, il nous ramène à la maturation d’une conscience qui prend la mesure du monde et des hommes. II a maintenant quitte les rivages du «connu» pour nous conduire vers cet insondable qu’il doit révéler, malgré Ie prix élevé de doutes et de larmes qu’il faudra payer pour y parvenir. Il court Ie risque de l’aventure car il sait qu’il ne peut pas celer plus longtemps ce qu’il a perçu. Dans un tel contexte Ie peintre ne peut se référer à aucun exemple ; Ie seul fil d’Arianne demeurant valable dans Ie labyrinthe de cette révélation sera sa sincérité, la vérité envers soi-même et les termes du langage mis en oeuvre.
Sur Ie plan pictural, Grosclaude qui était doué d’une vive sensibilité commença par simplifier ses effets pour les mieux contrôler, expérimentant parallèlement les possibilités du dessin, de la composition et de la couleur. Lorsque nous l’avions quitté en 1970 il cherchait à faire surgir formes et images de l’informulé ; aujourd’hui, il parle une langue que nous reconnaissons au moment où nous la découvrons car elle a les accents de la sincérité.
Les plans vibrants sont devenus des surfaces planes uniformément colorées, Ie geste glissant du hasard s’est transformé en cerne ou pointille volontaire, les hésitantes modulations colorées ont cédé la place à une construction lumineuse où chaque chose a sa place ; l’espace devient présence dynamique et mystérieuse.
Grosclaude recherche l’expression de l’essentiel et la clarté de son écriture témoigne directement de la limpidité de son monde intérieur. Celle-ci n’a pas été gagnée par la simplification et l’oubli mais par la transformation au niveau de la conscience d’une expérience humaine souvent amère mais assumée avec lucidité et sincérité.
Cette lumière mystérieuse qu’il porte, il l’a secrété dans ses rapports de couleurs et de valeurs longuement travaillés par transparence ; planes dans leur définition, ses surfaces creusent un espace profond par leurs contrastes. Qu’ils soient formes géométriques ou symboles humains, ses plans vibrent dans leurs rapprochements de l’angoisse qu’il y a à chercher à les situer dans une autre réalité où les couleurs du verbe deviendraient celles de la conscience.
Par sa démarche, Grosclaude s’apparente aux intimistes, à ceux qui assument les mystères de leur être avant d’en rechercher les effets dans la nature, mais aussi aux constructivistes par sa rigueur plastique. II allie la fermeté spirituelle des dessins ou gravures de Gleizes au réalisme pictural de Leger. Ce qu’il dit vient directement de son âme mais il l’écrit avec des moyens simples, directs, volontaires qui rejoignent la vérité de ce qu’ils servent par l’objectlvlté de leur présence. Le style de Grosclaude, c’est cette manière d’affirmer Ie réel jusqu’à l’effacement, d’opposer les surfaces les plus arides dans un espace d’une grande cohérence, de contraster les volumes et les surfaces dans un équilibre tendu et vivant, de mêler la transparence de l’air à l’épaisseur de la chair, de définir sans interdire la communication et l’échange.
Le courage qu’il fallut au peintre pour assumer ses contradictions donne à cette peinture les couleurs d’une vérité qui ne peut laisser insensible sur Ie plan de I’expression, ni sur celui de sa formulation.